Jean-Pierre Havrin

 

 

Jeudi 17 mars 2011, un restaurant proche de l’Assemblée nationale, à Paris. D’emblée, Jean-Pierre Havrin, 63 ans, a commandé une pression. Huit ans après, il n’a toujours pas digéré son éviction de la direction départementale de la sécurité publique de Toulouse. Il culpabilise encore de ne pas avoir pu éviter à ses hommes d’être humiliés par celui qui était alors ministre de l’Intérieur. L’émotion est intacte. La rancune aussi.

 

Il aurait pu être l’homme qui, un jour de février 2003, assena un coup de tête à Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur. Il n’a pas osé, il le regrette parfois. Son histoire, Jean-Pierre Havrin l’a souvent racontée. Au point d’en faire un livre, au titre sans équivoque : Il a détruit la police de proximité, publié en novembre 2010 (Jean-Claude Gawsewitch). « Il », c’est Nicolas Sarkozy bien sûr, dont la photo, le regard sévère, pointant un doigt accusateur, orne la couverture de l’ouvrage. Pourtant, rabroué et déshonoré par Nicolas Sarkozy un matin de février 2003, l’ancien directeur de la police de Toulouse n’a toujours pas digéré l’affront qui lui a été fait ce jour-là. Les vertus cathartiques de l’écriture ont leurs limites. « J’ai fait un bouquin car j’en avais besoin, comme un exutoire. Je l’ai écrit très facilement, pas besoin de nègre, ça venait tout seul ! Malgré tout, ce fameux épisode avec Sarko, je l’ai toujours en travers de la gorge. Je ne m’en remettrai jamais vraiment… », confesse Jean-Pierre Havrin. L’intonation de sa voix trahit aussi imparablement son désarroi que son accent ses origines girondines. Pour décrire le président de la République, il emploie parfois des termes injurieux. Manifestement, huit ans après avoir été congédié, la plaie est toujours à vif.

Homme de gauche élevé dans l’amour de la République, le policier Jean-Pierre Havrin, alors directeur de la sécurité publique du Gard, a rejoint le cabinet du ministre Jean-Pierre Chevènement, en 1997. Au cabinet du ministre de l’Intérieur, c’est Havrin qui a conceptualisé puis mis en pratique la police de proximité, notion importée des États-Unis. Elle est supposée permettre de combattre la délinquance à la racine en rapprochant, pour faire court, les effectifs de maintien de l’ordre de la population. Une gageure… Mais rapidement, les lambris de la place Beauvau exercent un pouvoir quasi asphyxiant sur Jean-Pierre Havrin. Il a besoin d’air, d’action, de concret. « Jean-Pierre Chevènement ne voulait pas que je quitte son cabinet, mais moi, j’avais besoin de faire de la police au quotidien, de mettre la main à la pâte, car c’est le terrain qui m’intéresse », explique-t-il. Logiquement, à ce stade de sa carrière, Jean-Pierre Havrin aurait pu prétendre à un poste de préfet, ou de directeur central. Sauf que, pour lui, « la place d’un flic est sur le terrain ».

Ça tombe bien, à Toulouse, la place du directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) se libère en janvier 1999. Le titulaire du poste n’a pas résisté aux émeutes urbaines qui enflamment depuis plusieurs semaines la ville rose. Les premières années, tout se passe bien. Toulouse s’affirme comme le laboratoire de la « pol’prox’ », pour reprendre le jargon utilisé par Jean-Pierre Havrin. Progressivement, le quartier sensible du Mirail retrouve son calme, les îlotiers se rapprochent des habitants, la prévention se substitue au tout-répressif, le dialogue s’instaure entre jeunes et fonctionnaires en uniforme… Fan de sport, Jean-Pierre Havrin facilite l’organisation de matches de foot entre les uns et les autres, afin qu’ils passent « du statut d’ennemis à celui d’adversaires », comme il dit. Certes, la situation est loin d’être idyllique, les dealers n’ont pas brutalement déserté la Haute-Garonne, et il arrive toujours que, en longeant une barre d’immeubles, des policiers reçoivent, en guise de bienvenue, des projectiles sur la tête… « Mais globalement, on obtenait des résultats », note Jean-Pierre Havrin.

Changement de décor en 2002 après la réélection de Jacques Chirac, au terme d’une campagne marquée au fer de l’insécurité, nouveau cheval de bataille d’une droite qui n’en finit plus – déjà – de courir après son extrême. La nomination de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur s’inscrit dans cette logique. De même que son mentor, Charles Pasqua, se proposait, depuis la place Beauvau, de « terroriser les terroristes », le maire de Neuilly-sur-Seine entend rétablir l’ordre dans les banlieues – qu’il proposera même de « nettoyer au Kärcher » en 2005.

« Le climat a rapidement changé après l’arrivée de Nicolas Sarkozy place Beauvau, se rappelle Jean-Pierre Havrin. Quelques semaines avant l’annonce de sa fameuse visite à Toulouse, début 2003, j’avais déjà des indices en provenance de la direction centrale. On me demandait sans arrêt : “T’es sûr que t’as pas de voitures qui brûlent dans ton département ?” Moi : “Non, non, tout est calme.” C’était suspect ces tentatives de faire croire que la situation se dégradait… Malheureusement pour le ministère, les chiffres, dont ils raffolent, étaient bons pour moi, il y avait une baisse de 5 % de la délinquance globale à cette époque dans mon département. » Le DDSP de Haute-Garonne n’est pas dupe : « Sarko voulait supprimer la police de proximité, mais, même à droite, beaucoup y étaient opposés. Donc, pour faire changer d’avis l’opinion publique, il fallait prouver que ça ne marchait pas. Avec mon étiquette d’homme de gauche, j’étais la cible idéale. Cela a commencé par de petites brimades. Par exemple, on avait, comme dans toute la France, une dotation pour récompenser les enquêteurs qui avaient de bons résultats, qui sortaient de belles affaires. Eh bien, le ministère a brutalement coupé le robinet : plus d’argent ! »

Au mois de janvier 2003, le patron de la police toulousaine est informé par la place Beauvau que le ministre va effectuer une visite dans le département. « D’emblée, je me suis méfié. Je suis policier quand même, j’ai un peu d’intuition ! »

Fin janvier, Beauvau dépêche une conseillère à Toulouse afin de préparer le déplacement du ministre. « Le hasard a fait que j’étais à Paris le jour de sa visite, du coup je ne l’ai pas vue. On m’a dit qu’il s’était agi de Rachida Dati, mais je n’en ai jamais eu confirmation. Mes gars, qui ne se méfiaient pas, étaient très contents de lui raconter tout ce que l’on avait mis en place avec les jeunes. »

Un policier lance alors : « La cerise sur le gâteau, la preuve qu’on a réussi à rétablir le dialogue, c’est qu’on organise maintenant régulièrement des matches de foot et de rugby avec les jeunes du Mirail, alors qu’avant on ne pouvait même pas leur parler. » Jean-Pierre Havrin raconte la suite : « Et là, la conseillère feint l’enthousiasme et dit : “C’est formidable, vous raconterez ça au ministre.” Évidemment, mes gars étaient tout contents… »

Juste avant la visite ministérielle, Le Figaro publie opportunément un article d’où il ressort que Toulouse détient le bonnet d’âne s’agissant du taux d’élucidation. « Ils avaient dû décortiquer tous les chiffres et c’est le seul qu’ils avaient trouvé, alors qu’en sécurité publique, cette notion n’a aucun sens, tempête Havrin. D’autant que moi, je demandais justement à mes policiers de prendre absolument toutes les plaintes, pour bien montrer à la population qu’on s’intéresse à elle, qu’on ne méprise aucune affaire. Le taux d’élucidation, on s’en fout, ce qui compte, c’est le taux de satisfaction. Sauf que celui-là est plus difficilement mesurable, évidemment. »

Le terrain ayant été soigneusement préparé, Nicolas Sarkozy peut débarquer à Toulouse, entouré d’un aréopage de conseillers, le 3 février 2003 au matin. Jean-Pierre Havrin a tout mémorisé.

« Il y a eu une première réunion à la préfecture. Sarkozy ne m’a même pas salué. Puis, direction la mairie, où l’on me met en face de responsables associatifs. Sarko arrive, il s’assoit, entre le directeur général (DGPN) Michel Gaudin et le préfet. Puis surgit sa femme, Cécilia, qui prend d’autorité la place du DGPN. Je n’en revenais pas, c’était la royauté ! Et moi, je me retrouve en face de Sarko, à l’autre bout de la salle, collé au mur, au sens propre du terme. Je refuse de m’asseoir. J’ai déjà compris que je vais être crucifié, et je veux mourir debout. » Pour le DDSP, qui a revêtu son uniforme d’apparat, commence alors un long supplice : presque tous les participants sélectionnés par le ministère se plaignent de l’action de la police. Des hommes et des femmes que Jean-Pierre Havrin n’avait, pour la plupart d’entre eux, jamais vus jusque-là ! À plusieurs reprises, pour ponctuer les doléances des intervenants, Nicolas Sarkozy pointe un index menaçant en direction de Jean-Pierre Havrin, à qui il lance à chaque fois : « Vous m’en rendrez compte, monsieur le directeur. » Havrin s’esclaffe : « Il m’a même dit cela après avoir entendu un commerçant se plaindre qu’un voyou ait pu être remis en liberté faute de greffiers au tribunal ! Comme si la police y était pour quelque chose… » Littéralement acculé, le patron de la police toulousaine a le sentiment d’assister à sa propre exécution, même si les mots ont remplacé les balles. « Les journalistes, les télés, ils étaient tous là, ils avaient été conviés à assister à ma mise à mort en direct. »

Le haut fonctionnaire n’en a pas fini avec son calvaire. Dans l’après-midi, la petite troupe ministérielle prend la direction du commissariat de Bellefontaine, au cœur du Mirail. « C’était en quelque sorte le point d’orgue de la visite », raille Havrin. La mine sévère, Nicolas Sarkozy s’avance vers les policiers de terrain, ceux qui vont au contact des ados de la cité. Pas peu fier, un gardien de la paix s’approche : « Monsieur le ministre, désormais, on peut même faire des matches de foot ou de rugby avec les jeunes. » La réplique fuse, presque trop rapidement. D’un ton à la fois cassant et définitif, le ministre lâche : « Organiser un match de rugby pour les jeunes du quartier, c’est bien, mais c’est pas la mission première de la police […]. Vous savez parfaitement que l’alpha et l’oméga du travail du policier, c’est pas d’organiser des tournois pour les jeunes. » En deux phrases, Nicolas Sarkozy vient de décréter la fin de la police de proximité. Plus que le fond, c’est la forme employée que Jean-Pierre Havrin ne pardonnera jamais à l’ancien ministre de l’Intérieur.

« Il nous a vraiment fait passer publiquement pour des cons. Ça voulait dire : regardez ces flics, ils sont tellement débiles qu’ils pensent que, pour régler les problèmes de sécurité, il suffit de faire des matches avec les voyous », assure Havrin. Il n’oubliera pas les regards emplis de détresse que lui adressèrent les policiers visés par le sermon ministériel. Le haut fonctionnaire n’a pas fini de culpabiliser. « Lorsqu’il a fait cette sortie, j’ai vu mes hommes se tourner vers moi, ils étaient déstabilisés, désemparés même. Et c’est peut-être là que j’ai failli. Je me suis retenu de lui mettre un coup de boule, tout ministre qu’il était. Il faut avouer que cela aurait quand même été étrange, de la part du policier chargé d’organiser sa sécurité ! Mais, très sincèrement, ce coup de tête, il l’aurait mérité. Dans ma carrière policière, il m’est arrivé d’avoir envie de mettre une claque, par exemple à un violeur d’enfants, mais j’ai toujours pris sur moi : quand on porte l’uniforme, on doit se comporter en professionnel. Pour les policiers du Mirail, sa petite phrase, ce n’était pas un reproche, mais une insulte. Ils ont été dégoûtés, ils ont d’ailleurs tous quitté leur poste après cet épisode. Aujourd’hui, au Mirail, tout le monde la regrette, la police de proximité, on a pris dix ans de retard. » On tente de changer de sujet, mais rien à faire, Jean-Pierre Havrin y revient, encore et encore.

« Humainement, je me dis avec le recul que, bien sûr, ce coup de boule, j’ai bien fait de ne pas le donner, mais il me reste aujourd’hui encore sur l’estomac. Ai-je été faible ou fort en ne réagissant pas ce jour-là ? Mes proches m’ont dit ensuite que j’avais été costaud, mais moi je me suis trouvé lâche. Cet épisode, je ne l’ai toujours pas digéré, et je crois que je ne le digérerai jamais. Je n’ai pas oublié le regard de mes gars, qui attendaient une réaction de ma part. Ils m’appelaient “patron”, ce qui n’est pas rien dans la police. Ils avaient un grand respect et une totale confiance en moi. À la limite, je ne me suis pas senti humilié à titre personnel, car je savais à quoi m’attendre, que c’était de la politique…, mais mes hommes, eux, ils l’ont été, humiliés. Or, pour moi, mes mecs, c’est plus important que tout, plus que la hiérarchie par exemple. »

Cette journée du 3 février 2003 s’est achevée comme elle avait commencé pour Jean-Pierre Havrin, sur un nouveau clash avec son ministre de tutelle. « Où est la BAC ? » lui demande d’un ton plein de reproche Nicolas Sarkozy, sans doute désireux de se faire présenter les effectifs de la brigade anti-criminalité. « Et moi, un peu insolemment je l’avoue, mais il était tellement désagréable que je n’ai pas pu m’empêcher, je réponds : “La BAC ? Mais comme tous les jours, monsieur le ministre, elle est sur le terrain, elle arrête les voyous.” Je l’ai vu pâlir, il était déjà énervé, mais ma réponse l’a rendu encore plus furax. “Vous vous foutez de ma gueule en plus ?” m’a-t-il lancé. En fait, je l’avais vu à l’œuvre toute la journée, c’est quelqu’un qui arrive à s’auto-énerver, il s’était chauffé tout seul pour être le plus cassant possible », estime Jean-Pierre Havrin.

Pour lui, l’affaire ne fait évidemment pas de doute : « Toute cette journée avait été parfaitement organisée, les incidents mis en scène. Sarkozy est venu à Toulouse dans le seul but de nous faire passer pour des guignols. C’était un coup monté contre la pol’prox’. On disait avant sa visite que Toulouse était “la vitrine de la police de proximité”. Eh bien Sarkozy, il est venu, avec un véhicule de l’État, percuter cette vitrine. Ceux qui se livrent à de tels actes, dans mon métier, d’habitude on les arrête. Avec Sarkozy, nous avions deux visions incompatibles : moi je vois la police au service de la population, lui la voit au service du pouvoir. » Havrin développe ce dernier point, qui lui tient tant à cœur : « C’est vraiment dommage qu’on n’ait pas un indice pour mesurer le taux de satisfaction de la population. Faire du chiffre, des statistiques, ça c’est ce que j’appelle la police au service du pouvoir. On ne travaille plus le fond, c’est pour ça qu’en 2010, par exemple, la violence sur la voie publique a augmenté de 35 % à Toulouse. On ne demande plus aux policiers de planquer, mais de faire des “crânes”. On préfère ramasser des “chiteux” ou des putes. Les putes, c’est l’idéal car on a à la fois le délit et son élucidation ! Et les mecs reçoivent des lettres de félicitations derrière… »

Bien entendu, après cette éprouvante journée, Jean-Pierre Havrin ne se faisait plus beaucoup d’illusions. Il savait que ses jours à la tête de la DDSP de Toulouse étaient comptés. Seule consolation, la presse, qui rendit largement compte de l’épisode, prit plutôt le parti du responsable policier. D’autant que Havrin entretenait d’excellentes relations avec nombre de journalistes.

La sanction tomba finalement quelques semaines plus tard. Elle prit la forme d’une convocation au ministère de l’Intérieur. Là encore, la mise en scène avait été soignée. « Je me présente devant la place Beauvau, en voiture, et là je découvre une trentaine de journalistes, je sens tout de suite le piège à con. » Havrin négociera, par téléphone, de pouvoir entrer par les garages du ministère, afin d’éviter micros et caméras. Arrivé dans le bureau du ministre, il voit surgir Nicolas Sarkozy, qui l’accueille, sans cravate, manches de chemise retroussées, décontracté. Dans ces cas-là, chaque détail compte : « Il me salue et s’assied sur un fauteuil assez haut, moi je dois m’installer sur un petit tabouret. » Sarkozy attaque d’emblée. « Vos statistiques, ça ne va pas du tout », tranche le ministre. « Je ne me démonte pas et je lui réponds que, pour moi, ces histoires de stats, c’est des conneries. Ensuite il me dit : “Vous savez, j’ai toujours bien traité vos amis socialistes.” Je lui rétorque que ça m’est égal, car même si je suis de gauche, je ne suis pas encarté. Puis il me lance : “Si je vous dis, nouvelle politique, nouveaux hommes ?” Là, je lui dis que je peux entendre ce discours. Plutôt que de tourner autour du pot, c’est plus clair. »

Au moins un point d’accord… Tandis que les deux hommes discutent, un troisième, resté en retrait, assiste à la conversation. Le fidèle Claude Guéant, directeur du cabinet du ministre. Un homme aussi courtois que son chef peut être brusque, mais dont Havrin se méfie comme de la peste. « Guéant ne m’aime pas, et je sais très bien pourquoi. Quand je suis arrivé au cabinet de Chevènement, alors que lui était directeur général de la police nationale, il l’a très mal vécu. Il se voyait comme un grand préfet, et moi un petit commissaire. Or, au cabinet, j’avais en quelque sorte autorité sur lui, tout directeur général qu’il fût. Nos relations se sont inversées, ce qu’il a très mal vécu. De son point de vue, il était absolument anormal qu’il soit obligé de rendre compte à un type comme moi. Circonstance aggravante, j’avais conseillé à Chevènement de changer de DG, ce qu’il fit [Claude Guéant fut nommé en février 1998 préfet de la région de Franche-Comté et préfet du Doubs]. S’agissant du traitement qui m’a été réservé par Nicolas Sarkozy, je pense que je dois beaucoup à Guéant. »

Mais il y a encore un détail à régler, au terme de cette entrevue place Beauvau. Le ministre de l’Intérieur évoque le battage médiatique fait autour du « cas Havrin » depuis sa visite à Toulouse. Nicolas Sarkozy, fin connaisseur du monde des médias et de leur fonctionnement, n’est pas dupe. Il sait parfaitement que Jean-Pierre Havrin, même s’il ne s’exprime jamais on the record, devoir de réserve oblige, est l’inspirateur des nombreux articles l’accusant d’avoir détruit la police de proximité. « Il n’avait pas tout à fait tort », sourit l’intéressé, qui sait aussi, quand il le faut, manier la litote. « Il faut arrêter tout ce cirque, que tout cette campagne médiatique cesse, assène donc Nicolas Sarkozy, avant d’ajouter : Dites-moi ce que vous voulez faire, quel poste vous intéresse. Si vous vous taisez, je vous donne ce que vous voulez. » Au moins, le deal est clair. Havrin fait alors valoir ses fonctions à la tête de la Fédération sportive de la police française et de l’Union sportive des polices d’Europe, qu’il n’a pu, jusqu’alors, assumer comme il l’aurait souhaité, faute de temps. Et propose à son ministre de le nommer conseiller auprès du directeur général de la police nationale (DGPN). « Conseiller du DGPN pour le sport ?! » s’esclaffe Sarkozy, mesurant le cocasse de la situation. « J’ai dit oui, et ça a fait ni une, ni deux. J’ai eu le titre, avec un bureau à Toulouse. C’était bien sûr un titre de conseiller complètement bidon, c’était un emploi fictif. D’ailleurs, le DG a eu le bon sens de ne jamais rien me demander comme mission ! » Jean-Pierre Havrin passera ainsi cinq années dans un placard finalement assez confortable, sillonnant l’Europe, comparant les expériences. « Ce qui me confirma d’ailleurs la pertinence de la police de proximité », s’amuse-t-il.

Après avoir fait valoir ses droits à la retraite, fin 2007, il décide de se lancer dans la politique. Avec succès, puisqu’il est élu sur la liste de gauche qui parvient à conquérir la ville, en 2008. Depuis, il occupe le poste d’adjoint au maire chargé de la sécurité. C’est en cette qualité qu’il a eu l’honneur d’accueillir, en mars 2009, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur, venue, ironie de l’histoire, inaugurer à Toulouse les premières unités territoriales de quartier (UTEQ), rien d’autre en fait que des policiers de proximité. Jean-Pierre Havrin n’a pas boudé son plaisir. « J’ai savouré, c’est vrai. D’autant que la ministre s’est rendue au commissariat du Mirail, là même où j’avais été humilié six ans plus tôt. Chacun a pu mesurer le ridicule de la situation. En fait, j’ai été viré par un homme, mais récupéré par le peuple. »

Il n’est désormais plus tenu au devoir de réserve auquel sont astreints les hauts fonctionnaires, et ne se prive pas d’user de cette nouvelle liberté. Surtout pour régler ses comptes avec celui qui a mis, prématurément, un terme à sa carrière.

« Au cours de cette journée du 3 février, notamment lorsqu’il m’a dit que je me “foutais de sa gueule”, il n’a pas eu l’attitude qu’on pourrait attendre d’un ministre de l’Intérieur. Quand il a fait sa sortie : “Casse-toi pauvre con”, ça ne m’a pas surpris du tout. Ce type n’est pas un homme d’État. Et j’en ai connu. Pierre Joxe ou Jean-Pierre Chevènement, par exemple. Eux aussi ils peuvent fusiller un mec, Joxe avec un simple regard, Chevènement avec une phrase, légèrement humoristique. Par exemple, quand on remettait à Chevènement un rapport qui ne lui convenait pas, il lâchait : “Ceci n’est pas pensé.” Et là, tu savais que t’étais mort ! Sarko, lui, il dirait : “C’est de la merde.” Joxe ou Chevènement, ce sont des types qui ont une pensée, qui sont structurés, avec une certaine idée de l’État, des types capables de faire des réformes sur cinq ans quand ils savent qu’ils sont là pour deux ans seulement… Sarko, lui, a tendance à réagir comme l’homme de la rue, mais c’est interdit quand on est ministre, a fortiori président de la République. À ce niveau-là, tu n’as pas le droit de t’abaisser, tu représentes la France tout de même. Même Chirac, qui était proche des gens, conservait une certaine distance, un minimum de hauteur. »

Nicolas Sarkozy, Jean-Pierre Havrin ne l’a revu qu’une seule fois. Et comme le destin est décidément taquin, ce fut à l’occasion… d’un match de football, entre l’équipe de France de la police et le Paris Saint-Germain ! « C’était peu de temps après mon éviction, et il avait été charmant avec moi. Logique, je ne le gênais plus. »

Pourtant, il a ressenti à nouveau une certaine pression courant 2010, au moment de l’écriture de son livre. « Quand j’ai décidé de raconter mon histoire, on m’a dit de faire attention, de bien regarder sous ma voiture. Je me disais que les gens étaient quand même un peu paranos ! Mais, par la suite, un curieux incident m’a quand même troublé… » Ce « curieux incident », dont il n’avait jamais voulu parler jusqu’ici, c’est le vol de son ordinateur portable, quelque temps après qu’il eut annoncé à ses proches sa décision de consigner ses souvenirs dans un ouvrage.

« Cela s’est passé à la fin du mois d’avril 2010 au cours d’un week-end, dans mon bureau, à la mairie de Toulouse. J’ai déposé plainte, bien sûr. J’ai évidemment eu de gros doutes immédiatement, j’avais du mal à croire à la thèse du maraudeur. Mes soupçons ont été confortés quelques mois plus tard, en octobre, au moment des vols d’ordinateurs des journalistes du Monde, du Point et de Mediapart, en pointe dans les affaires Bettencourt et de Karachi. J’ai fait le rapprochement avec mon cambriolage, même si je n’en ai pas parlé, car je ne souhaitais pas qu’on pense que je veuille me faire mousser. Heureusement, il n’y avait rien de très important dans mon ordinateur. Et, de toute façon, mon livre, dont j’avais déjà rédigé une bonne moitié, était manuscrit. »

Derrière ses lunettes rectangulaires, le regard de Jean-Pierre Havrin se fait plus intense. « Et vous savez pourquoi je l’ai écrit à la main ? Parce que la colère irriguait ma plume. »

Sarko M'a Tuer
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